«Sauver des vies grâce aux nanotechnologies»

Chargé depuis cinq ans par le géant américain Pfizer d’identifier de nouvelles méthodes pour le développement de médicaments, Mostafa Analoui prédit un brillant avenir aux nanotechnologies, tout en s’appliquant à prévenir les attentes irréalistes. Il était parmi les intervenants de l’Interactive Field Trip organisé par le Credit Suisse à Boston.

De Peter Hossli

M. Analoui, votre travail consiste à identifier de nouvelles méthodes susceptibles de servir au développement de médicaments. Expliquez-nous pourquoi vous vous intéressez toujours davantage aux nanotechnologies.
Mostafa Analoui: Je veux contribuer aux progrès de la pharmacie et les nanotechnologies recèlent un énorme potentiel dans ce domaine. Rien qu’aux Etats-Unis, près de 3000 personnes décèdent chaque jour des suites d’une maladie cardiaque. J’ai l’espoir que les nanotechnologies nous permettront de développer de nouvelles formes de traitement et de sauver ainsi des milliers de vie.

Oui, mais quand? Cela fait des années que les scientifiques répètent qu’il est «trop tôt» pour tester cliniquement des médicaments élaborés grâce aux nanotechnologies. A quand les premières études?
Analoui: A dans quelques temps, je suppose. Vous savez, il est difficile de dire où nous en serons dans dix ans, car la synthèse de médicaments prend des années. Seuls 2% des idées qui font l’objet de tests pourtant classiques en laboratoire débouchent en fin de compte sur un remède, et encore… Même s’il est vrai que les nanotechnologies recèlent un potentiel considérable, les scientifiques doivent faire preuve de responsabilité afin de tempérer tout espoir exagéré et expliquer clairement les différences entre science et fiction.

A votre avis, dans quels domaines de la médecine les nanotechnologies connaîtront-elles les progrès les plus rapides?
Analoui: Les progrès les plus tangibles se situent aux niveaux des techniques diagnostiques et de l’administration de médicaments.

Des voix commencent à s’élever dans les rangs des détracteurs, qui voient d’un œil critique l’exposition de l’être humain à des «organismes moléculairement modifiés». Que doivent faire les principaux acteurs du secteur pour éviter que les nanotechnologies ne soient mises dans le même panier que le génie génétique?
Analoui: Toute nouvelle technologie comporte son lot de risques. Je pense néanmoins qu’il faut faire la distinction entre les dangers réels et certaines peurs irréalistes nourries par la population. Pour cela, nous devons identifier ensemble les vrais risques et élaborer des conditions cadres pour ce qui est de l’application des nanotechnologies. Il importe également de faire preuve de transparence, en expliquant clairement au public que nous ne cernons pas encore tous les dangers. Personnellement, je pense qu’ils sont minimes.

A combien estimez-vous le potentiel des nanotechnologies en termes de chiffre d’affaires?
Analoui: Nous tablons sur des mouvements à hauteur de 377 milliards de dollars en 2015. La biologie devrait se tailler la part du lion avec 70 milliards.

La recherche en nanotechnologies est financée depuis de nombreuses années autant par des fonds publics que privés. Certaines start-ups américaines sont même cotées en bourse. Pourtant, les bénéfices se font attendre. Après la bulle Internet, faut-il craindre la «bulle nano»?
Analoui: Les deux domaines sont très différents. Les nanotechnologies sont un terme générique qui englobe diverses méthodes techniques et des savoirs fondamentaux. Les secteurs de l’industrie qui en bénéficient sont nombreux. Il est vrai en revanche que tout comme Internet à l’époque, elles suscitent des attentes qui n’ont rien à voir avec la réalité. Les investisseurs doivent dès lors faire la part des choses et distinguer les vraies potentialités des utopies. Cela n’est possible que s’ils connaissent les tenants et les aboutissants de la technologie dans laquelle ils investissent.

Est-il possible d’éviter la «bulle nano»?
Analoui: Lorsqu’Internet a été lancé, les investisseurs se sont jetés sur cette technologie dans l’espoir d’engranger rapidement des dividendes. La bulle qui s’en est suivie leur a servi de leçon, puis-qu’ils acceptent désormais l’idée d’attendre plus longtemps avant de récolter les fruits de leur investissement. Toutefois, ils n’adoptent pas toujours un comportement rationnel, ce qui peut se révéler problématique quand on investit dans un secteur aussi complexe que celui des nano-technologies. Les deux côtés doivent donc comprendre dans les détails la technologie employée par une entreprise pour estimer sa valeur. Je déconseille d’ailleurs vivement tout placement dans des sociétés dirigées par des chercheurs.

Quels problèmes rencontrent les investisseurs qui misent sur les nanotechnologies?
Analoui: Tout d’abord le manque de références historiques, essentielles pour la valorisation d’une entre-prise. Vous conviendrez qu’il est difficile d’évaluer correctement la valeur financière d’une jeune société qui a déposé quelques brevets sans avoir encore lancé de produit sur le marché. Il est d’autant plus important de comprendre la portée scientifique des nanotechnologies et d’apprécier correctement leur potentiel. Il ne suffit pas de réaliser des avancées phénoménales, encore faut-il développer un produit qui tienne la route.

Quelle importance les nanotechnologies vont-elles prendre à l’avenir?
Analoui: Je suis convaincu qu’elles seront la technologie clé du XXIe siècle.