De Peter Hossli (texte) et Nathalie Taiana (photos)
Il y avait une énergie particulière hier à Chicago. Dès 15h, les places du United Center se sont remplies. À 16h20, les rangées supérieures étaient pleines, cinq heures devaient encore s’écouler avant que Kamala Harris n’accepte la nomination de son parti comme candidate à la présidence.
À 22h13, des milliers de ballons rouges, bleus et blancs ont été lâchés, accompagnés d’énormes quantités de confettis. Puis sur scène, Kamala Harris et son mari Doug Emhoff ont dansé sur «Freedom» de Beyoncé. Bref, un festival visuel et sonore.
Une demi-heure plus tôt, la vice-présidente Harris était déjà montée sur scène en tailleur-pantalon sombre, affichant son rire contagieux, et insufflant encore plus d’énergie dans une salle déjà chauffée à blanc.
Son discours était divertissant et, par moments, brillant. Il s’est toutefois quelque peu relâché par la suite, multipliant les idées reçues sans substance et, surtout, diabolisant Donald Trump, sans jamais parler de l’avenir des États-Unis.
Elle a remercié sincèrement le président Joe Biden, qui lui avait laissé la place. Elle a évoqué avec émotion sa mère, venue d’Inde vers les Etats-Unis, ainsi que son père, originaire de Jamaïque. Elle a également fait référence au jazz de John Coltrane et de Miles Davis, et la soul d’Aretha Franklin l’auraient marquée.
Son discours sur sa jeunesse était émouvant, tout comme son récit sur la manière dont sa mère l’a élevée seule avec sa sœur Maya après son divorce, avec l’aide de tout le voisinage.
Tout semblait sincère, honnête et crédible – comme lorsqu’elle a parlé de sa période de procureur difficile. «Toute ma vie, je n’ai eu qu’un seul client: le peuple», a-t-elle dit. Et ça a fait son effet… jusqu’à ce qu’elle ajoute: «Donald Trump n’a jamais eu qu’un seul client: lui-même.»
Dès que le mot «Trump» a été prononcé, le discours a instantanément perdu de sa force. Au lieu de convaincre, elle n’a eu de cesse d’attaquer Donald Trump. Elle a mis en garde contre un second mandat, des réductions d’impôts, la fin de la démocratie et une nouvelle restriction des droits reproductifs des femmes.
Cela a enthousiasmé la salle. Mais au vu des attaques incessantes contre le républicain ces quatre derniers jours, les pics ont progressivement affaibli sa prestation. Au final, la candidate a attisé les craintes au lieu de répandre l’optimisme.
Sur le fond, elle est restée vague comme à son habitude, son programme économique n’étant pas tangible. «En tant que présidente, je serai derrière l’Ukraine», a-t-elle déclaré à propos de la politique étrangère, avant de faire une autre pirouette autour du conflit au Proche-Orient.
Avec Joe Biden, elle serait en train d’obtenir un échange d’otages et un cessez-le-feu. Elle a aussi souligné qu’elle soutiendrait toujours Israël – ce qui lui a valu des sifflets de la part du public – mais n’a pas manqué de condamner la souffrance à Gaza. Des cris de «Free Palestine» ont immédiatement été entendus dans la salle.
Kamala Harris a toutefois retrouvé son brio à la fin du discours, prenant de la hauteur avec des phrases qui resteront dans les mémoires: «J’aime mon pays de tout mon cœur. Je vois une nation prête à avancer dans l’incroyable voyage qu’est l’Amérique.»
Que faut-il pour ça? «Nous devons nous montrer dignes de ce moment. C’est le moment de faire ce que les générations avant nous ont fait, guidés par l’optimisme et la foi, pour se battre pour le pays que nous aimons.» Car, a-t-elle ajouté, «le plus grand privilège sur terre est le privilège et la fierté d’être américain».
Elle a conclu en appelant à tout faire pour gagner l’élection. Son mari est ensuite monté sur scène et l’a prise dans ses bras. Des ballons ont de nouveau été relâchés.
C’était sa soirée, il était enfin question d’elle. Une nièce a parlé d’elle avec amour et humour, tout comme sa filleule et sa belle-fille. Sa jeune sœur Maya Harris a également pris la parole. Elle a dit de sa sœur: «Là où d’autres voient l’obscurité, Kamala voit l’espoir.»
L’actrice Kerry Washington était également de la partie avec deux petites-nièces de Kamala Harris. Enfin, la star de série Eva Longoria a présenté la démocrate comme «la première présidente des Etats-Unis.»
Mais là encore, les plus de 100 orateurs ont surtout parlé de celui qui n’était pas du tout à Chicago: Donald Trump, toujours pris pour cible. Les démocrates ont tiré sur le républicain à boulets rouges, à coups de mots creux et agressifs.
Les orateurs les plus applaudis ont été ceux qui ont cité Donald Trump dans un contexte particulièrement négatif. Et ce sont les démocrates, d’habitude si moralisateurs, qui ont attaqué leur adversaire au lieu d’acclamer leur propre candidate.
Le fond n’a donc été abordé que de manière marginale, faisant de l’élection une compétition entre deux personnalités, et non entre des idées différentes.
Cette stratégie soulève aujourd’hui une question: face au «Trump bashing», les électeurs ne pourraient-ils pas se demander si le parti n’a pas plus à dire sur sa propre candidate?