Interview: Peter Hossli Photos: Katarina Premfors
Al Jazeera diffuse ses programmes depuis 1996. La chaîne a-t-elle influencé d’autres médias arabes?
Mostefa Souag: Dès le début, la population arabe a salué l’arrivée d’Al Jazeera. Mais elle constituait une menace pour les gouvernements arabes. Avant son arrivée, les chaînes de télévision étaient la plupart du temps au service du pouvoir. Les journalistes pouvaient rarement travailler librement. Al Jazeera, elle, était libre et indépendante. Nous sommes devenus un modèle pour les médias arabes. Nous leur avons montré ce qu’est le vrai journalisme.
Quel a été l’impact pour Al Jazeera?
Nous avons énormément grandi et nous avons gagné en influence et en téléspectateurs. Certaines chaînes arabes avaient beaucoup plus d’argent que nous. Cela ne les a pas empêchées de disparaître. Nous sommes toujours là parce que nous sommes restés fidèles à nos principes. Nous devons notre succès à la qualité de nos journalistes.
Plus de 400 journalistes répartis dans le monde travaillent depuis 60 pays pour Al Jazeera. Quels profils sont adaptés à Al Jazeera?
Nous recherchons de vrais journalistes, qui ont de la passion. Nous versons de bons salaires, souvent meilleurs que ceux proposés par la concurrence. Et nous offrons à tout le monde l’espace nécessaire pour faire son travail de journaliste.
Les journalistes ont besoin d’indépendance. En Occident, Al Jazeera est considérée comme un porte-parole de la propagande arabe.
On nous critique, car nous présentons chaque événement sous ses différentes facettes. Ainsi, pendant la guerre d’Irak, nos reporters n’étaient pas uniquement intégrés à l’armée américaine. Ils ont aussi montré des scènes où l’on voit des bombes américaines manquer leurs cibles et tuer des civils. Nos concurrents auraient bien aimé avoir ce genre de matériel, mais ils n’étaient pas sur place. Plus tard, les Américains ont bombardé nos bureaux en Afghanistan et tué un de nos reporters en Irak.
Quelle est l’influence du propriétaire d’Al Jazeera, l’émir du Qatar?
Al Jazeera est la propriété de l’Etat du Qatar et ne dépend pas d’une seule personne. Personne ne nous dicte les reportages à faire. Al Jazeera est complètement indépendante sur le plan journalistique.
Mais l’émir n’est pas totalement désintéressé. C’est lui qui paie les factures. Vous n’avez pas à générer de profits.
Tous les gouvernements dans le monde cherchent à influencer les diffuseurs. Il y a ceux qui le font l’arme au poing et d’autres qui se servent des «soft powers», tels que les médias ou la diplomatie. Cette manière d’exercer de l’influence ne tue pas. Doha est un centre de négociations de paix et de diplomatie. Ce qui est important, c’est la Coupe du monde de football en 2022. L’émir du Qatar souhaite développer le pays et aider l’ensemble de l’humanité.
Est-ce Al Jazeera qui a créé le printemps arabe, comme beaucoup le disent?
Al Jazeera est le projet arabe le plus réussi de ces vingt dernières années. Personne d’autre n’a su aussi bien expliquer aux habitants des pays arabes leur réalité. Nous montrons la jeunesse et les femmes d’aujourd’hui, le monde de l’économie et de la politique. Ce sont les populations elles-mêmes qui ont entamé le printemps arabe. Plus tard, Al Jazeera a montré comment se battre pour instaurer la justice.
Qu’est-ce qui distingue Al Jazeera des autres chaînes globales d’informations telles que la BBC ou CNN?
Nous ne mettons pas seulement Barack Obama et Angela Merkel à l’écran, mais également les gens des rues. Nous donnons une voix à ceux qui n’en ont pas.
Pourquoi Al Jazeera ne parle-t-elle pratiquement jamais du Qatar?
Parce que ce qui se passe au Qatar n’intéresse pas le reste du monde. Nous ne sommes pas une chaîne de télévision locale mais globale. En novembre, nous étions bien évidemment sur place quand Amnesty International a publié un rapport sur les conditions de travail au Qatar.