A la conquête de la Maison-Blanche

L’an prochain, les Etats-Unis vont élire un nouveau président – à moins que ce ne soit une présidente. Les candidats au poste suprême usent de diverses tactiques: s'en prendre aux médias, soigner sa cote de popularité, se présenter comme un outsider et rire de soi-même.

Text: Peter Hossli

repLes politiciens se comportent comme les singes du zoo. C’est en tout cas ce que pense le satiriste américain Jon Stewart, 53 ans. Comme eux, ils font ce qu’ils veulent, jettent leurs crottes sur les visiteurs. D’où la nécessité d’avoir des journalistes critiques qui remettent à leur place. «Les journalistes doivent être les gardiens du zoo», explique le satiriste. Pourtant, dans la lutte pour la Maison-Blanche, les politiciens veulent cette fois-ci renverser la tendance.

Beaucoup de candidats traitent les médias d’ennemis.

Les candidats républicains considèrent leur propre débat télévisé de fin octobre comme une vraie «débâcle». Ils en veulent aux questions prétendument agressives des présentateurs.

trumpComme l’exige le sénateur du Texas Ted Cruz, 44 ans, les présentateurs doivent désormais dire à l’avance s’ils voteraient ou non républicain. Le chirurgien entré en politique Ben Carson, 64 ans, veut transférer tous les débats sur Facebook et ne plus répondre aux journalistes, uniquement aux électeurs. Devant la caméra, Ted Cruz lance son offensive contre les médias: «Quand on voit les questions posées dans ce débat, on comprend pourquoi les Américains ne font pas confiance aux médias», assène-t-il. Il regarde les présentateurs droit dans les yeux et se moque de leurs questions: «Donald Trump, êtes-vous le méchant d’une bande dessinée?», «Ben Carson, savez-vous compter?», «Marco Rubio, pourquoi ne pas vous désister?», «Jeb Bush, pourquoi faites-vous baisser votre cote de popularité?». Ces questions ont pour but de discréditer les républicains aux yeux de la nation, pensent-ils. «Pourquoi ne nous posez-vous pas de questions sur de vrais problèmes?»

Le débat ne manque pourtant pas de profondeur. Mais les candidats font piètre figure. Après la prestation, tout le monde ne parle que des présentateurs. La question la plus importante? L’offensive de Cruz, son attaque frontale contre les médias. Le sénateur texan Marco Rubio, 44 ans, favori parmi les républicains, a accusé les médias d’être un «super PAC pour Hillary», un organisme de financement pour la candidate démocrate. Donald Trump, 69 ans, a qualifié le débat de «ridicule».

nixonLes trois râleurs le savent parfaitement: critiquer les médias aide les républicains. Le vice-président républicain Spiro Agnew (1918-1996) a décrit les journalistes comme une «petite élite non élue». Son patron, le président Richard Nixon (1913-1994), ne donnait de préférence que des interviews aux journaux de moindre importance. Il savait que leurs journalistes étaient impressionnés de rencontrer le président et n’osaient donc pas poser de questions délicates. Ironie du sort, ce sont précisément les deux journalistes Bob Woodward, 72 ans, et Carl Bernstein, 71 ans, qui ont fait tomber Nixon. George W. Bush, 69 ans, président de 2001 à 2009, a souvent déclaré aux journalistes, en les regardant droit dans les yeux, qu’ils ne représentaient pas le peuple

Mener dans les sondages
Mais pourquoi les candidats à la présidence des Etats-Unis malmènent-ils les médias? Dans le pays où l’on vente comme nulle part ailleurs la liberté de la presse? Parce qu’ils veulent se faire entendre. Et que ça augmente leur popularité. A chaque attaque, ils grimpent dans les sondages. «Jamais les sondages n’ont joué de rôle plus important que pendant ces élections», a déclaré le statisticien Nate Silver.

Chez les politiques, c’est à qui criera le plus fort avant les primaires. Se faire remarquer génère des recherches sur Google et des contributions sur les sites d’information, explique Nate Silver. Les recherches influencent d’avantage les sondages que les informations dans les médias. Surtout que de telles recherches génèrent à leur tour des articles et renforcent la notoriété des politiciens. «Le buzz autour d’une personnalité fait monter sa cote de popularité», explique Nate Silver. C’est ce qui explique pourquoi le milliardaire endimanché Donald Trump reste si longtemps au top. Il promet des mesures totalement irréalistes. Comme la déportation de 11 millions de Mexicains vivant illégalement aux Etats-Unis. Ou l’enregistrement de tous les musulmans du pays. C’est ce qui fait qu’il reste présent dans les médias. Quand l’effet buzz sera passé, Trump disparaîtra de l’affiche.

hillaryL’année des outsiders
Jusqu’à présent, la devise médiatique de la campagne électorale est: «qui sera plus outsider que l’autre». En particulier les insiders! Ted Cruz, qui est tout de même sénateur, se désigne lui-même comme l’«original outsider». Jeb Bush, à la fois frère et fils de présidents des Etats-Unis, dit qu’il ne connaît absolument pas Washington. «Peut-il y avoir plus grand outsider que moi?» demande Hillary Clinton. Même si elle a vécu huit ans à la Maison-Blanche, en tant que première dame, avant d’être sénatrice et finalement secrétaire d’Etat de Barack Obama. Personne ne sait mieux que la démocrate comment fonctionne Washington. Mais elle justifie son statut d’outsider par le fait qu’elle serait la première femme dans l’histoire américaine à conquérir la Maison-Blanche. Son élection serait historique. Tout comme l’a été celle d’Obama, le premier Noir à devenir président d’un pays qui doit en grande partie sa richesse à l’esclavage des Africains.

Le mythe de l’outsider remonte aux élections de 1828. A l’époque, Andrew Jackson (1767-1845) se décrivait dans les médias comme un outsider. Contrairement au président en place, John Quincy Adams (1767-1848), il ne faisait pas partie de l’establishment. Jackson a remporté l’élection haut la main.

reaganDepuis, chaque candidat se distancie autant que possible de la politique et du pouvoir. Jimmy Carter, âgé aujourd’hui de 91 ans, ne se présentait pas en 1976 en tant que gouverneur de la Géorgie, mais comme ancien matelot de la Navy et cultivateur d’arachide. Son adversaire était le président sortant Gerald Ford. Pendant la campagne présidentielle, il s’affichait dans la roseraie de la Maison-Blanche. Ford a perdu. Tout comme Carter quatre ans plus tard, mettant en avant son statut de président en donnant ses interviews à la Maison-Blanche. Il s’est fait battre par le cow-boy Ronald Reagan (1911-2004). Le fait qu’il sache monter à cheval était plus important que ses compétences politiques. Dans les spots publicitaires, Reagan a dépeint son adversaire comme un homme solitaire à la Maison-Blanche. En 2000, George W. Bush a décrit le vice-président Al Gore, 67 ans, comme «ultime insider» et déclaré: «La plupart des gens apprécient ceux qui ont acquis de l’expérience en dehors de Washington.» Pas un mot sur le fait qu’il est le fils d’un ancien président.

Les candidats promettent toujours qu’ils vont changer Washington après l’élection. Jusqu’à présent, personne ne l’a fait. Ou, comme l’a dit une fois l’ancien gouverneur de New York Mario Cuomo: «Notre campagne électorale est pure poésie, quand nous gouvernons, nous redevenons prosaïques.»

La caricature
De nombreux politiques ont recours au comique. On essaie de faire du buzz en apparaissant dans Saturday Night Live (SNL). Le show se moque des puissants. Les comiques caricaturent les présidents et les sénateurs. Il y a huit ans, Tina Fey, 45 ans, a brillé dans une caricature de Sarah Palin, 51 ans, candidate au poste de vice-présidente. Elle a dressé un portrait culotté de l’ancienne gouverneure de l’Alaska. Jusqu’à ce que celle-ci viennent elle-même à SNL, avec Tina Fey, et rie malicieusement d’elle-même.

hillary_snlCette année, Hillary Clinton et Donald Trump s’y sont également essayés. La comédienne Kate McKinnon, 31 ans, a endossé le rôle de la candidate démocrate Clinton. Début octobre, celle-ci a également fait une apparition dans SNL, dans le rôle de la serveuse de bar Vale. La candidate Clinton, jouée par McKinnon, lui commande une vodka. Toutes deux entament une conversation banale. L’Hillary fictive admet qu’elle aurait pu soutenir le mariage gay plus tôt. Et elle invente des histoires, en présence de la réelle Clinton, et dit notamment qu’elle se réjouit d’avoir Trump comme adversaire, qu’elle va le «détruire avant d’accrocher son scalp au mur du Bureau ovale. A la fin, la Clinton fictive dit à la vraie: «J’aimerais que tu sois présidente.» Et l’autre répond: «Moi aussi.»

L’apparition de Donald Trump à SNL a été un fiasco. Il a animé, le 7 novembre, le show «le pire de l’année», selon un critique de télévision. Trump n’est pas capable de rire de lui-même. L’apparition de Larry David, 68 ans, créateur de Seinfeld, fut le moment fort de l’émission. Il a caricaturé l’adversaire démocrate de Clinton, Bernie Sanders, 74 ans, faisant de lui un socialiste farfelu. Irrésistible. 